Carbonisation éclair. Le vent du tourner, ou bien Dieu exprima un peu de pitié. Parce qu’ils ne brûlèrent pas, leurs poumons ne brûlèrent pas. L’embrasement ne fut pas total, sinon ils n’auraient plus été là. Mais ils sentirent passer les bourrasques et entendirent les arbres s’embraser et pousser des hurlements inhumains à moins qu’ils ne viennent d’un esprit tourmenté, une flambée, un craquement de protestation, et les branches carbonisées qui tombaient sur la barre de gravier. El le vent retomba.Cette férocité. Pareille à une expiration. C’était encore là, ça leur appuyait sur le dos, mais ça n’était plus mortel. Comme un vent chaud, de ceux qui s’engouffre sur la rivière d’un désert en fin d’après-midi. Jack connaissait ça. Il se mit à genoux et, dans un effort incroyable, il souleva le canoë pour le retourner. Où était la casserole ? Il l’avait clipsée au banc de nage, il en était sûr, il ne la voyait pas, putain, le bateau était plein d’eau, mais au moins, ils étaient sortis des rapides, la rivière était moyennement agitée à cet endroit, il leur fallait traverser. Rejoindre l’autre côté. Retourner dans la gueule du feu. Parce que la chaleur était intense et le paysage ardent, mais de l’autre côté de la rivière, tout avait brûlé, tout était noirci, cette partie de la forêt avait expiré et donc recraché toute sa férocité. Ils devaient y aller parce que le front de l’incendie avait gagné ce côté où un carburant n’attendait que de prendre feu, et il se propageait, il était au-dessus d’eux et dans une minute il emporterait toute la berge, créerait son propre vent comme il l’avait fait avant, et si jamais ce vent rebroussait chemin, si la fumée et les gaz revenaient vers la rivière, ils pouvaient encore passer sur le gril. Le feu pouvait très bien retraverser la rivière dans l’autre sens, et il n’y aurait plus rien à brûler qu’eux.
Peter Heller
La Rivière
Actes Sud. 2021









