Le monde est tel qu’il est : les nations réarmement et se préparent au changement ; l’âge des tyrans revient ;
La plus grande civilisation qui a jamais existé érige des tours toujours plus hautes sur des fondations qui se fissurent.
Crises récurrentes; ils faisaient déjà preuve de détermination, ces enfants des grands singes, lorsqu’ils commencèrent à courir en meutes et à tailler le silex.
Allongé, j’entends la pluie sombre qui martèle le toit, et le vent aveugle.
Le matin venu, peut-être, je retrouverai des forces
Pour apprécier l’immense beauté de cette époque du monde, les fleurs fanées du déclin et leur charme pitoyable, les tapisseries
D’un rêve fiévreux qui bordent le drame et qu’on appelle l’avenir. Ce reflux de vitalité perçoit les incidents ignobles et
Cruels, et non l’ordre abstrait suprême.
Allongé, j’entends la pluie sombre qui martèle le toit, et le vent aveugle de la nuit.
Dans le pays de Ventana, l’obscurité, la pluie et le rugissement de l’eau remplissent les gorges profondes des montagnes.
Le banc de sable près du ruisseau où nous étions allongés au mois d’août l’an passé, sous le défilé
Des étoiles, près du feu de camp reflété sur les parois obliques de la gorge, a disparu, englouti par les flots.
Les cerfs du pays s’assemblent sur une crête
Et une harde compacte, sous les arbousiers d’Amérique; ils frissonnent dès qu’un morceau de roche glisse et se dérobe, ils ouvrent de grands
Yeux buveurs d’obscurité et resserrent leurs rangs.
Des cataractes de roches
Pleuvent de la montagne d’un escarpement à l’autre et meurtrissent le lit du cours d’eau, qui s’en accommode. Les lauriers sont déchirés,
Les séquoias sont emportés avec leurs racines et gisent au fond de la gorge. J’entends les gros galets du torrent se fracasser en deux,
Je ressens la chair de la montagne qui se déplace sur ses os dans l’obscurité humide.
Cela est-il plus magnifique encore
Que les désastres humains ?Ces blessures guériront en temps voulu; il en ira de même pour celles de l’humanité. Tout cela est bien plus beau…la nuit…
Robinson Jeffers
(1887-1962.Californie)
Le dieu sauvage du monde
Ed Wildproject 2015 (Marseille)
Collection Tête nue









