Ah l’Amérique !

J’attendis une bonne heure à la même place et puis de cette pénombre, de cette foule en route, discontinue, morne, surgit sur les midi, indéniable, une brusque avalanche de femmes absolument belles.

Quelle découverte ! Quelle Amérique ! Quel ravissement ! Souvenir de Lola ! Son exemple ne m’avait pas trompé ! C’était vrai !

Je touchais au vif de mon pèlerinage. et si je n’avais point souffert en même temps des continuels rappels de mon appétit, je me serais cru parvenu à l’un de ces moments de surnaturelle révélation esthétique. Les beautés que je découvrais, incessantes, m’eussent avec un peu de confiance et de confort ravi à ma condition trivialement humaine. Il ne me manquait qu’un sandwich en somme pour me croire en plein miracle. Mais comme il me manquait le sandwich !

Quelles gracieuses souplesses cependant ! quelles délicatesses incroyables ! Quelles trouvailles d’harmonie ! Périlleuses nuances ! Réussites de tous les dangers ! De toutes les promesses possibles de la figure et du corps parmi tant de blondes ! Ces brunes ! et ces Titiennes ! Et qu’il y en avait plus qu’il en venait encore ! C’est peut-être, pensais-je, la Grèce qui recommence ? J’arrive au bon moment !

Elles me parurent d’autant mieux divines ces apparitions, qu’elles ne semblaient point du tout d’apercevoir que j’existais, moi, là, à côté sur ce banc, tout gâteux, baveux d’admiration érotico-mystique de quinine et aussi de faim, faut l’avouer. S’il était possible de sortir de sa peau j’en serais sorti juste à ce moment là, une fois pour toutes. Rien ne m’y retenait plus.
Elles pouvaient m’emmener, me sublimer, ces invraisemblables midinettes, elles n’avaient qu’un geste à faire, un mot à dire, et je passais à l’instant même et tout entier dans le monde du Rêve, mais sans doute avaient-elles d’autres missions.

Une heure, deux heures passèrent ainsi dans la stupéfaction. Je n’espérais plus rien.

Louis-Ferdinand Céline
Voyage au bout de la nuit
Gallimard, 1952

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