nous infirmières, c’est notre tour

…comme les autres, j’enlève doucement le masque d’infirmière que j’ai porté six heures d’affilée. Je me rends compte que nous sommes à l’autre bout de cette nuit et qu’il fait jour. Je m’arrête dans ce couloir où il il n’y a personne et je m’adosse au mur. C’est le petit matin. La nuit n’a été qu’une succession d’ordres, de gestes méthodiques, de protocoles, de contrôles de constantes. Il n’y a eu que la précision pour faire rempart à l’horreur, que l’entraide pour contrer la peur, que la rage pour balayer la fatigue. Longue nuit de plaintes, de perfusions, de pansements, de corps transportés d’un brancard à l’autre, montés au bloc, redescendus puis remontés parfois…Longue nuit d’yeux fixés sur les écrans pour vérifier le moindre signe de faiblesse des corps endommagés… Longue nuit de cris, d’appels, de voix qui rassurent, donnent des instructions, le plus posément possible. Longue nuit de visages qui essaient de rester calmes alors qu’à l’intérieur, tout tremble. Les médecins disent qu’ils n’ont jamais vu cela. Nous disons que nous n’avons jamais vu cela.

Laurent Gaudé
Terrasses, ou Notre long baiser si longtemps retardé
2024, Actes Sud

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