Simo – La Mort Blanche

Avant tout, regarde ton environnement. Personne ne marche assez lentement pour ne pas laisser de traces. La terre, les branches, les feuilles et la neige par-dessus tout te raconteront ce que tu dois savoir: Combien d’ennemis sont passés, s’ils se sont arrêtés, s’ils traînaient des canons ou des mitrailleuses. cherche calmement, avec le moins d’efforts possible, la sueur, une fois que tu seras en position, gèlera tout ton corps. Ne tire pas d’une maison ou d’un immeuble, un seul obus rouge te laisserait sous ses décombres. Ne tire pas du haut d’un arbre, une fois repéré, tu n’auras jamais le temps d’en descendre. essaie d’avoir le soleil dans ton dos, pour qu’il éblouisse l’adversaire. Enfin, choisis un endroit avec une voie d’évacuation non obstruée derrière toi, pour une possible retraite. Et si tu dois fuir, n’oublie pas de lancer quelques « étincelles », qu’ils regrettent de nous avoir un jour déclaré la guerre.
En disant ces mots, Simo se tourna d’un quart et montra, accrochées à sa ceinture, les trois grenades qu’il avait ainsi rebaptisées.
– Maintenant tu peux préparer ton tir. Tout d’abord, ne pose jamais le doigt sur la queue de détente mais le long du pontet, ça t’évitera un coup de feu malheureux, et tu serais encore obligé de crier mon nom pour sauver ta vie.
Tu seras statique de longs moments, et tu devras contrôler tes tremblements, ta fatigue et ta peur par ton seul esprit. Tu dois donc connaître tes forces et tes limites. Ne mets pas en avant les premières et écoute les secondes. N’utilise jamais de lunette de visée, là aussi, le soleil pourrait frapper la lentille et révéler ta position. Beaucoup de Russes auraient pu te le confirmer, si je ne les avais pas croisés. Mets de la neige dans ta bouche pour éviter la buée, et si ton fusil est posé à même le sol, tasse la neige devant toi pour qu’elle ne s’envole pas à cause du souffle expulsé par la bouche du canon. Ne t’occupe que de ce qui est devant, ne t’occupe pas du ciel. Les obus, même s’ils font trois quarts des victimes, c’est au petit bonheur la chance, tu n’y peux rien.
Simo se mit alors dans l’axe de son fusil, comme si l’homme et l’arme ne faisaient qu’une ligne, puis il ferma un œil et visa au loin.
– Lorsque les ennemis sont au centre de ta mire, il faudra choisir. Trouve ta meilleure cible, pas la plus facile. Définis un ordre si elles sont plusieurs. Les tireurs de précision en premier. Celui derrière la mitrailleuse ensuite, le canonnier ou le mortier en troisième. Les officiers en quatrième. Les autres mourront en dernier s’ils ne se sont pas déjà enfuis, et ça n’a pas vraiment d’importance, car ce ne seront que de simples soldats, et la plupart n’ont pas demandé à être là. estime la distance avec précision. Si la cible est en mouvement, tire cinquante centimètres devant. Si elle court, ajoute un mètre. Ne vis pas la tête, c’est prétentieux et pas plus efficace que n’importe où dans le torse. Respire. Appuis doucement sur la queue de détente, laisse-toi presque surprendre par le départ de feu. Si tu touches, recommence. Si tu manques, change de position. deux sentiments vont parasiter ton tir. La peur de le rater. et parce qu’on n’est pas des assassins…la peur de le réussir. Malheureusement, au bout de quelques jours, tuer sera moins culpabilisant. Voilà, tu sais à peu près tout. Le reste, c’est de la pratique, et de la pratique, tu vas en avoir.

Olivier Norek
Les guerriers de l’hiver
Ed Michel Lafon. 2024

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