Hôtel Moskva

en habitué des longs couloirs de ce bâtiment monstrueux
rejeton de la grande époque ma surprise
est grande de retrouver une chambre donnant sur l’extérieur
le dehors, Moscou, la place de la Révolution
qui est l’antichambre e la place Rouge
et la foule qui la traverse en ce samedi après-midi
avec au-dessus dans le gris du ciel et le gris-vert
des toits un bulbe d’or comme tout neuf
retapé comme le sont ici tant de choses
le matin l’Arbat et l’après-midi Tretiakov
et déjà le voile du départ posé sur eux
retrouver son chemin si grand plaisir ici
dans le dédale dilaté des chatières de Kitaï-gorod
et la lenteur fraîche du printemps
les seize heures de train qui nous séparent de Saratov
ont passé comme un souffle et là-bas le dépôt
de nos fantômes commence j’entends leurs voix
toutes leurs voix dans la bibliothèque la nuit
puis elles se taisent et passent dehors dans la poussière
des rues là-bas ni refaites ni repeintes
entre la gare et la Volga avec tout autour
ces banlieues de tuyaux scalpés et de cours désolées
maison qu’une plante derrière la fenêtre
et la nuit une lumière douce et profonde métamorphosent
de telle sorte que le conte se raconte encore
pour des enfants ébahis et des vieilles à foulard

Jean-Christophe Bailly
Temps réel
Moscou, Hôtel Moskva, chambre 626
Seuil. 2024

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