dix-sept syllabes

…comment faire pour retrouver un état d’esprit poétique, sinon me façonner un espace libre où je puisse comme un tiers examiner calmement mes sensations, en les plaçant devant moi avant de reculer d’un pas. Le poète est celui qui a le devoir d’exposer au monde son cadavre qu’il a lui-même disséqué et dont il révèle la maladie qui l’emporte. Il y a pour cela divers moyens, mais le plus commode est décidément celui qui consiste à assembler dix-sept syllabes, à tout moment et en tout lieu, comme cela vous vient.Comme c’est la forme poétique la plus simple, qu’on se lave le visage ou que l’on soit aux toilettes, ou encore dans le train, rien n’est plus facile à écrire. Dire qu’on peut écrire sans difficulté ces dix-sept syllabes, c’est dire qu’on peut devenir poète sans initiation, comme devenir poète nécessite une forme d’illumination, il ne faut en en aucun cas, sous prétexte que j’ai parlé de facilité, se montrer dédaigneux. Plus le poème est simple, et je crois que c’est au contraire ce qui fait sa valeur. Supposons par exemple que je sois en colère. Tout de suite, je transcris cette humeur en dix-sept syllabes. Au moment où je transforme ma colère en écriture, je suis déjà un autre. Éprouver de la colère et composer en même temps un haïku, voilà qui n’est pas facile. Je verse quelques larmes. Ces larmes deviennent dix-sept syllabes. A peine le poème est-il achevé que je mens joyeux. Pour que mes larmes soient devenues dix-sept syllabes, il faut qu’elles se soient séparées de moi, seule demeure la joie de savoir que je suis un homme de verser des larmes.

SÔSEKI
Oreiller d’herbe ou le Voyage poétique
ED Philippe Picquier -Poche. 2018

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