Tandis que j’erre entre le rêve et la réalité, la cloison en treillis de l’entrée glisse doucement. Une silhouette féminine fait son apparition sur le seuil,comme une vision. Je ne m’étonne pas. Je ne prends pas peur. Je me contente de regarder avec plaisir. Le mot regarder est toutefois un peu fort. Je devrais plutôt dire que la vision d’une femme s’est glissée derrière mes paupières closes sans demander l’autorisation. La vision pénètre à pas légers dans ma chambre. Telle une fée fendant les vagues, elle avance sur les tatamis sans donner l’impression d’une présence humaine. Comme je vois le monde à travers mes yeux fermés, je ne peux rien affirmer, mais elle a la peau claire, une chevelure de jais et une longue nuque gracile. Elle me fait l’effet d’une de ces photographies estompées, à la mode ces derniers temps, qu’on regarde à la lumière d’une lampe.
La vision s’arrête devant le placard. Un bras blanc glisse de la manche en répandant une faible lueur dans la nuit. La porte du placard se referme. Les tatamis ont reconduit la vision dans une ondulation naturelle. La cloison en treillis s’est refermée toute seule. Le sommeil m’a gagné peu à peu. Le passage intermédiaire entre la mort d’un être humain et sa renaissance en bœuf ou en cheval doit ressembler à cet état-là.
SÔSEKI
Oreiller d’herbe ou le Voyage poétique
ED Philippe Picquier -Poche. 2018









