[sans date, années 80]
Chère Barbara,
Je viens juste de raccrocher. Ta voix n’est pas près de me quitter. Il y a une pépite d’or aux creux de mon oreille pour le reste de la journée. Un coup de fil, c’est une lettre sonore. Sans cet appareil, nous serions restés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, toi au Japon et moi à Bougival. Il faut savoir souffrir d’une absence, mais un petit coup de fil, comme on avale un cachet pour apaiser l’angoisse, cela ne fait pas de mal.
Ta voix m’a toujours paru s’élever vers le ciel. Ton âme est un son, une mélodie. Tes mots, par miracle, se matérialisent. Il y a cette rime que j’adore : « Notre amour aura la fierté des tours de cathédrales. » Je te le jure, ta cathédrale, je la voyais, elle s’élevait dans l’air, juste devant moi. La chanson avait un pouvoir, une force incroyable pour le petit vagabond échappé de Châteauroux, elle ma ramenait toujours dans les moments les plus sombres sur l’île aux mimosas.
Toi que j’ai souvent cherché
À travers d’autres regards
Et si l’on s’était trouvé
Et qu’il ne soit pas trop tard
Pour le temps qu’il me reste à vivre
Stopperais-tu ta vie ivre
Pour venir vivre avec moi
Sur ton île aux mimosas.
J’avais comme ça, quelques phrases, sur moi, des rimes revigorantes, aussi efficaces qu’une giclée de prune.
Dis, quand reviendras-tu
Dis, au moins le sais-tu
Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère
Que tout le temps perdu ne se rattrape plus
À douze ans, j’avais l’impression d’avoir tout perdu :
Mais j’avais une maison
Avec presque pas de murs
Avec des tas de fenêtres
Et qui fera bon y être
Et que si c’est pas sûr
C’est quand même peut-être
Tu te rends compte, « si c’est pas sûr, c’est quand même peut-être. » Avec un truc pareil, je crois qu’on peut continuer à marcher longtemps. J’adorais le lyrisme naïf de Jacques Brel. Mais c’est ta voix qui rythmait mes fugues. Je marchais comme un forcené avec tes chansons dans ma tête. C’était mon baluchon et je t’assure que je n’avais pas besoin de walkman !
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Gérard Depardieu, Lettres volées, Éditions J.-C. Lattès, 1998, Paris, pp. 97-102.
Merci pour ce partage 🙂
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