Le haïku est un poème certes court, deux temps, trois mouvements, mais surtout profond. Poignée de mots esquissant, et fleurant la surface des choses, il donne à sentir, à sonder l’indicible profondeur, à goûter la subtile saveur de l’expérience humaine, saisie dans l’éternité de l’instant présent. Un impromptu (petite pièce composée sur-le-champ sans préparation) improvisé dans l’instant, minimaliste dans la forme et maximaliste dans le fond, dans l’impression.
Le haïku est par excellence l’expression littéraire du zen (transcription japonaise du sanscrit dhyana, « contemplation »), cette expérience éminemment libératrice au cours de laquelle on s’aperçoit que fondamentalement il n’y a rien, comme le disait le vieux maître zen chinois Feng Kan (8° siècle). Il ne reste plus alors qu’à lâcher philosophiquement prise et à s’accorder a cours des choses. On peut ainsi entrevoir, dans l’expérience de l’identité de notre nature véritable, débarrassée de son moi égocentrique, et de l’univers, la merveilleuse poésie implicite du monde.
ne possédant rien
le cœur en paix
fraîcheur !
Le haïku est l’expression de cet état de fraîcheur, de disponibilité, d’ouverture, de lucidité, de clairvoyance. Il traduit, sans l’expliciter mais seulement en le suggérant, l’expérience de recul philosophique, poétique si l’on préfère, sur le monde, quand tout devient simple, lumineux, merveilleusement évident. Quand on perçoit, bien plus que le sens, l’harmonie des choses, leur impeccable coïncidence.
pour faire du feu
le vent m’apporte
assez de feuilles mortes
Miroir, le haïku demande au lecteur d’aller puiser dans sa propre expérience, son propre réservoir d’image et de sensations, sa propre mémoire de ces moments rares et fugitifs de grâce où l’on est miraculeusement accordé au monde.
lorsque est la nuit
le bruit de l’eau
dit ce que je pense
Un haïku se lit un peu comme on contemple un tableau, sur le même tempo. Le poète est peintre, mais un peintre qui sur la palette disposerait, outre les couleurs, de sons, d’odeurs et de saveurs philosophiques. Le haïku, en reflétant un événement du domaine des sens, nous donne accès, d’emblée, au sens. Il saisit le merveilleux au cœur de l’ordinaire. Il met en évidence un détail, un échantillon du monde, qui résume le tout, signifie le tout, donne au tout sa profondeur. Un vers unique décrit l’univers et nous ouvre à l’éternité de l’instant présent.
le papillon disparu
mon âme
me revient
Pour Bashô (1644-1694), unanimement reconnu comme le maître du haïku, père spirituel et génie créateur, « il nous faut certes élever notre esprit au domaine de la vraie compréhension, mais de là ne pas manquer de retourner à l’expérience immédiate pour y puiser la vérité de la réalité.quoi que nous soyons en train de faire à un moment donné, nous ne devons pas perdre de vue que ce que nous faisons est en corrélation avec notre nature profonde. c’est là que réside la poésie.
le vieil étang
du plongeon d’une grenouille
le bruit dans l’eau
C’est en composant ce poème, par lequel historiquement le genre haïku parvient à sa maturité et à son apogée poétique, que Bashô réalise qu’il vient de formuler de façon fulgurante ce qu’il cherchait confusément à exprimer: l’interpénétration de l’éternel et de l’éphémère. Il vient de trouver l’attitude poétique juste. Une grenouille plonge et le génie poétique de Bashô éclabousse le vieil étang de notre mémoire.
Hervé Collet & Cheng Wing fun
ah! Matshushima – l’art poétique du haïku
Editions Moundarren. 2001