Les marins l’avaient surnommé César, croyant moquer l’indifférence orgueilleuse dont il les accablait. Il était un César, à sa manière, premier dans sa cale et non plus second dans son pays. Les chaînes sur son torse large semblaient autant de médailles antiques. IL avait des cicatrices sur tout le corps, géographie de combats passés, longs fleuves crevassés, cratères mystérieux, villes aux rebords boursouflés, égratignures forestières. Sur sa cuisse le trou encore suintant de son esclavage, blessure plus honteuse que d’autres. Sur sa fesse, plus infamante encore, la peau brûlée au fer rouge.
Chaque fois sur le pont il regardait, même quand il dansait, les marins travailler. Il étudiait le langage des voiles, la grammaire secrète et efficace des cordages, celle du vent. Il entendait parler les marins dans ce curieux sabir de pilgrim, mêlant plusieurs accents et autant de langages. Il avait fini par le comprendre, au fil des semaines, tandis que continuaient à le rejoindre dans la cale de nouveaux captifs enchaînés.
Sylvain Pattieu
Et que celui qui a soif, vienne
(un roman de pirates)
Actes Suds. Babel. 2016