L’éternité

Stop !

Je dépose sur un nuage
la charge
de mes affaires
et de mon corps fatigué.
Endroit propice où je n’étais jamais venu avant.

J’examine les lieux.
Ainsi
ce poli bien léché,
c’est donc cela le ciel que l’on nous vante.

Nous verrons, nous verrons !

Ca étincelle,
ça scintille,
ça brille
et
cela bruit –
un nuage
ou bien
des esprits
qui glissent sans bruit.

« Si une belle jure un amour fidèle… »

Ici,
au firmament du ciel,
entendre la musique de Verdi ?
Par le jour d’un nuage,
je jette un œil –
les anges chantent.
Les anges vivent dignes,
fort dignes.

L’un d’eux se détache
et rompt aimablement
son silence somnolent :
« Alors,
Vladimir Vladimirovitch,
l’infini vous plait-il ? »
Et moi de répondre aussi aimablement :
« Charmant, cet infini
C’est un ravissement ! »

Au début, c’est énervant :
pas un coin
où l’on se sente chez soi,
ni thé,
ni journal à lire avec.
On prend peu à peu les habitudes des cieux.
Je vais avec les autres voir
s’il n’est pas arrivé de nouveaux.
« Ah ! C’est vous ! »
On s’embrasse avec joie.
« Bonjour, Vladimir Vladimirovitch ! »
« Bonjour, Abraham Vassilievitch !
Alors cette fin,
bien passée
comme il faut ? »

Bonnes plaisanteries, hein ?

Cela m’a plu.
Je pris place à l’entrée
et si
des connaissances
défuntes se présentaient,
je les accompagnais,
leur montrant la rampe des constellations,
la munificente décoration des mondes.

La station centrale de tous les événements,
embrouille de boutons, de leviers et de manettes.
Par ici,
-et les mondes s’alanguissent paresseux –
par ci,
-ils se mettent à tourner plus vite.
« Et que ça tourne -demandent-ils-
jusqu’à ce qu’en meure le monde.
Que leur faut-il ?
Abreuver les champs de sang ? « 
Je ris de leur ardeur.
Au diable.
« Qu’ils inondent,
je m’en fiche! »

L’entrepôt principal de tous les rayons possibles.
Endroit où l’on jette les étoiles éteintes.
Un vieux croquis
-on ne sait de qui-
le premier projet, manqué, de baleine.

On est grave,
occupé.
L’un raccommode les nuages.
L’autre charge le feu dans le four du soleil.
Tout est terriblement en ordre
en paix,
en règle.
Personne ne se bouscule
D’ailleurs nul besoin.

D’abord on m’a fâché :
« Il traîne sans rien faire ! »
Mois, c’est le cœur que je cherche
et où sont-ils les sans-corps ?
Je leur propose :
« Voulez-vous,
je l’étends
tout au long
sur un nuage
et je contemplerai les choses. »

« Non, -disent-ils-, ça ne convient pas ! »
 » Si c’est ainsi, alors proposez quelque chose »

Les soufflets soupirent dans la forge des temps –
et la nouvelle
année
est prête.
D’ici
dégringole en grondant
la terrible avalanche des ans.

Je ne compte pas les semaines.
Nous
qui sommes dans les cadres du temps,
nous ne divisons pas l’amour en jours,
nous ne changeons pas les noms aimés.

Paix.
Je repose
aux creux des rayons de lune,
mortifiant mon émoi avec les rêves.
Comme sur une plage du Sud,
seulement un peu plus engourdi,
et sur moi,
me couvrant de caresses,
roulent les mers de l’éternité.

 

 

Vladimir Maïakovski
A pleine voix
(Anthologie poétique 1915-1930)
Maïakovski va au ciel

Trad Christian david
Ed Le champ du possible 1973
Gallimard 2005

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