– Même si cela a eu lieu, même si quelque chose s’est passé qui ressemble à cela, même si les faits sont avérés, c’est toujours une histoire qu’on se raconte. On se la raconte. Et au fond, l’important, c’est peut-être ça. Ces toutes petites choses qui ne collent pas à la réalité, qui se transforment. Ces endroits où le papier calque se détache, sur les bords, dans les coins. Parce qu’on a beau faire, ça gondole, ça frise, ça frouille. Et c’est peut-être pour ça que le livre vous a touchée. Nous sommes tous des voyeurs, je vous l’accorde, mais au fond, ce qui nous intéresse, nous fascine, ce n’est peut-être pas tant la réalité que la manière dont elle est transformée par ceux qui essayent de nous la montrer ou nous la raconter. C’est le filtre posé sur l’objectif. En tout cas, que le roman soit certifié par le réel ne le rend pas meilleur. Voilà ce que je crois.
(…)
Le soir, quand je me suis couchée, j’ai repensé à cette expression de pure fiction que l’homme avait utilisée et qu’il m’était arrivé d’employer aussi. En quoi la fiction était-elle pure ? de quoi était-elle soi-disant exempte ? N’y avait-il pas toujours, dans la fiction, une part de nous-même, de notre mémoire, de notre intimité ? On parlait de pure fiction, jamais de pure autobiographie. On n’était donc pas complètement dupe. Mais après tout, peut-être que ni l’une ni l’autre n’existaient.
Delphine de Vigan
D’après une histoire vraie
Ed J.C. Lattès 2015
Livre de Poche 2019
Prix Renaudot, , Prix Goncourt des lycéens