C’était une femme à qui l’on avait donné cette belle voix pour la dédommager d’une certaine façon de l’accumulation d’erreurs qu’était son corps. Il était impossible de deviner son âge, bien sûr qu’elle dût avoir derrière le demi-siècle. Brune, elle oxygénait ses cheveux qui dépassaient, jaune paille, d’un turban grenat et croulaient sur ses oreilles, sans parvenir malheureusement à les cacher, car elles étaient énormes, épanouies et comme avidement projetées sur les bruits du monde. Mais le plus voyant chez elle c’était son double menton, un sac de peau qui tombait sur ses chemisiers multicolores. Elle avait un duvet épais qu’on aurait pu qualifier de moustache et elle cultivait l’atroce habitude de le tripoter en parlant. Elle bandait ses jambes avec des bas élastiques de footballeur, parce qu’elle souffrait de varices.
La tante Julia et le scribouillard
Mario Vargas Llosa
1977 Lima, 1979 Gallimard