Non, je crois que la seule métaphore que j’ai utilisée pour parler des différents “moi” qui coexistent dans un être est l’idée de spectre. Je crois que chaque être humain est un spectre. La plupart du temps, nous nous trouvons au milieu de celui-ci, mais il y a des moments où nous allons d’un extrême à l’autre ; nous nous déplaçons sur cette gamme, passant d’une teinte à l’autre, à différents moments, selon notre humeur, notre âge, et les circonstances.
IBS : Oui, et la notion de spectre est appropriée. Qu’est-ce qui maintient la cohérence du moi, selon vous ? Une sorte de substrat ?
PA : Si elle existe, ce doit être la conscience de soi.
IBS : J’ai eu peur que vous ne disiez l’identité.
PA : L’identité est ce qui est écrit dans mon passeport. Non, je ne sais même pas ce qu’identité veut dire dans ce contexte. Je crois qu’autour de l’âge de cinq ou six ans, il devient possible, quand une pensée vous vient, de vous dire simultanément que vous pensez cette pensée. Ce dédoublement se produit quand nous commençons à réfléchir à nos propres pensées. Une fois que vous pouvez le faire, vous êtes en mesure de vous raconter votre histoire. Nous possédons tous, intérieurement, un récit continu, consistant, de qui nous sommes, et nous nous le racontons tous les jours de notre vie.
IBS : Et il n’arrête pas de changer.
Une vie dans les mots
Paul Auster-Conversations avec I. B. Siegumfeldt
Actes Sud. 2020