Qu’est ce qui rend la vie digne d’être vécue ?
Aucune enfant ne pose cette cette question. Pour eux la vie est une évidence. Elle va de soi. Ils ne voient pas le monde. Ils ne le regardent pas,n’y réfléchissent pas, ils y sont tellement immergés qu’ils ne font aucune distinction entre lui et eux. Il faut attendre qu’une distance apparaisse entre ce qu’ils sont et ce qu’est ce monde pouf ue surgisse la question : Qu’est ce qui rend la vie digne d’être vécue ?
Est-ce la sensation d’appuyer sur la poignée de la porte et de la pousser, de la faire tourner sur ses gonds sans jamais appoer la moindre résistance, d’entrer dans une nouvelle pièce ?
Oui, la porte s’ouvre telle une aile, et rien que pour cela la vie mérite d’être vécue.
Après de nombreuses années d’existence, nous ne remarquons plus la porte. Au même titre que la maison, le jardin, le ciel ou la mer, voire le clair de lune au-dessus des toits la nuit. La monde va de soi, mais nous ne lui prêtons plus la moindre attention, et comme nous n’y sommes plus immergés, comme nous ne faisons plus corps avec lui, il disparaît à nos yeux. Nous ouvrons la porte, mais cela ne revêt plus aucune importance, ce n’est rien, rien qu’un geste que nous effectuons pour passer d’une pièce à l’autre.
Je veux te montrer le monde tel qu’il est aujourd’hui : la porte, le sol, le robinet, l’évier, le fauteuil de jardin contre le mur sous la fenêtre de la cuisine, le soleil, l’eau, les arbres. Un jour viendra où tu verras le monde à ta façon; tu feras tes propres expériences et tu vivras ta vie, c’est donc bien sûr avant tout pour moi-même que je me lance dans une telle entreprise : te montrer le monde, ma puce, rend ma vie digne d’être vécue.
Karl Ove Knausgaard
En automne
Ed Denoël. 2021