Dostoïevski décrit l’épilepsie de Mychkine comme une maladie survenant en trois phases : une longue période d’oppression pendant laquelle les impressions les plus diverses s’accumulent, se chevauchent, entrent en conflit, produisent un flottement d’une douleur extrême, puis, d’un seul coup, une explosion qui ouvre sur une harmonie extraordinaire, insupportable, puis s’achève, une seconde plus tard, sur une chute dans le néant.
Ce schéma en trois phases inégales se retrouve partout dans le roman: in est celui de la composition des quatre livres de l’Idiot, et de chacune des quatre ou cinq scènes qui les composent (une longue préparation, une accumulation de faits ou d’arguments, ou de personnages, une explosion, un arrêt brusque dans la trame narrative, puis un passage à autre choses). Il est de la représentation des personnages, surtout Nastassia Filippovna, qui passe sans arrêt d’une crise en crise, de Ragojine au prince, avec le même élan de passion suicidaire. Il est aussi l’image de la peine de mort, telle qu’elle est décrite, deux fois de suite, par le prince Mychkine au début du livre I. Il est l’image même d’une des oppositions fondamentales de l’Idiot, celle de la durée et de l’instant : l’épilepsie, ou les moments pendant lesquels l’émotion est la plus forte, abolit d’un seul coup le temps normal, fait vivre dans un instant perpétuel, fait s’accomplir la parole de l’Apocalypse sur le temps qui n’existera plus.
L’Idiot devient une méditation mystique sur la façon dont Dieu peut apparaître aux hommes, sur la façon dont « la beauté peut retourner le monde » (le sauver et le perdre) – par fulgurances insupportables.
(…)
L’épilepsie est aussi et – pour le traducteur- surtout l’image de la langue de Dostoïevski.
André Markowicz
L’Idot.
Dostoïevski
Traduit par André Markowicz
Ed Actes Sud 1993
