Nos voyages ont parcouru toute notre île mais nulle part aussi loin
que notre silence pénètre à présent la contrée nue et montagneuse de ce qu’on ne sait dire.
Quand nous nous parlons
c’est des choses qui ne disent rien de ce que nous signifions l’un pour l’autre.
Des petites choses
s’amassent autour de nous comme pour nous cacher un vaste paysage
intouché par le soleil, à la lumière aveuglante pourtant.
Nous nous disons de petites choses
dans le calme, la voix fatiguée, enrouée comme à crier d’une grande distance.
Nous nous disons de petites choses prudemment,
poliment,
telles que :
Voici le journal, quelle partie en veux-tu ?
Ok, n’importe laquelle, à part les BD et les pubs…
Mais sous le silence de ce que nous nous disons,
il y a celui beaucoup plus articulé de ce que nous ne nous disons pas,
une tempête de non-dits,
enroulée, retenue, constituée,
tictaquant comme l’horloge d’une bombe à retardement :
fracas, feu, destruction
remontée à bloc dans les tranquilles,
presque tendres,
petites choses banales qu’on se dit.
Tennessee Williams
Dans l’hiver des villes
Un poème à part. III (1958)
Ed Seghers. 2022









