Ce serait une religion sans Dieu

Ce serait une religion qui comporterait une mission rationnelle: sauver la planète, civiliser la terre, accomplir l’unité humaine et sauvegarder la diversité. Une religion qui assurerait et non prohiberait le plein emploi de la pensée laïque, problématisante et autocritique, issue de la Renaissance européenne. Ce serait une religion au sens minimal du terme. Ce sens minimal n’est pas réduction au rationnel. Il contient quelque chose de sur-rationnel: participer à ce qui nous dépasse, ouvrir à ce que Pascal appelait « charité » et ce que l’on peut appeler aussi compassion. Il comprend un sentiment mystique et sacré…
Ce serait une religion sans Dieu, mais où l’absence de dieu révélerait l’omniprésence du mystère. Ce serait une religion sans révélation (comme le boudhisme), une religion d’amour(comme le christianisme), de commisération, mais où il n’y aurait ni salut par immortalité/résurrection du moi, ni délivrance par engloutissement du moi.
Ce serait une religion des profondeurs : la communauté de souffrance et de mort. Ce serait une religion sans vérité première, ni vérité finale. Nous ne savons pas pourquoi le monde est monde, pourquoi nous sommes au monde, pourquoi nous disparaissons, nous ne savons pas qui nous sommes. Ce serait une religion sans providence, sans avenir radieux, mais qui nous lierait solidement les uns aux autres dans l’Aventure inconnue. Ce serait une religion sans promesse, mais avec racines : racines dans nos cultures, racines dans notre civilisation, racines dans l’histoire planétaire, racines dans l’espèce humaine, racines dans la vie, racines dans les étoiles qui ont forgé les atomes qui nous constituent, racines dans le consensus où sont apparues les particules qui constituent nos atomes.
Ce serait une religion terrienne, non supraterrestre, et non plus de salut terrestre. Mais ce serait une religion de sauvegarde, de sauvetage, de libération, de fraternité.

Edgar Morin
Avec Marc de Smedt
Cheminer vers l’essentiel
(Extrait de Terre-Patrie.1993)
Albin Michel. 2024

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