Jardin de la Bourse

En ce temps de marasme, les contre-maîtres dirigeaient les chefs d’équipes, et ces derniers remplaçaient les dockers. Les pointeurs aussi faisaient le rôle des débardeurs.
Diaw Falla ne trouvait que quelques instants de joie dans ce qu’il faisait : le livre qu’il écrivait. Cette double vie lui demandait de la force, de l’attention. Il enviait ses héros: il pouvait les affamer, les faire gémir, quand il avait bien mangé. Mais il savait maintenant que la vie était une lutte de tous les jours; il apprit à détester les poètes et les peintres qui ne montraient que ce qui est beau, qui chantaient la gloire de printemps, oubliant l’aigreur du froid. Les oiseaux ne sont pas seulement pour embellir, les fleurs non plus. « Fallait-il être naïf pour s’y laisser prendre ? » se disait-il. Parfois, il allait accompagner Catherine dans son travail. La fille était employée dans un grand magasin de confection de la rue St Férréol. Elle avait pris une large place dans son cœur, et il se montrait très chevaleresque avec elle.
Ce jour d’hiver ressemblait à un jour d’été. Les gens, comme des lézards, s’étaient aux terrasses des bistrots. Diaw et Catherine faisaient un grand détour, pour prolonger leur intimité. Ils se donnaient rendez-vous au boulevard de la Liberté.

Ousmane Sembène
Le Docker Noir
Ed Présence africaine. 1973

Dans les années 1930, le jardin derrière la Bourse (aujourd’hui jardin des vestiges). Photo Detaille

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