Les géographes avaient inventé une superbe expression pour décrire les phénomène d’abandon des villages d’altitude de la Provence.
Ils parlaient du “déperchement”. Le mouvement avait commencé au cours de la première révolution industrielle, puis il y avait eu la saignée paysanne de 1914 et l’industrialisation du pays au cours du XX° siècle. Après la seconde guerre, les hauts plateaux calcaires s’étaient dépeuplés extraordinairement vite. Les Trente Glorieuses avaient aspiré le paysan en bas de sa pente, vers la plaine. Certains avaient choisi la ville. Les hommes avaient rêvé d’une existence plus facile et de chemins moins empierrés. La vie était devenue confortable et les enfants moins sales. Giono avait trouvé le moyen d’imaginer un regain et de revivifier un hameau par la grâce du roman, mais la plupart du temps les villageois avaient décroché, comme décroche la section quand l’ennemi contre-attaque. Quand un pays de montagne se modernise, l’homme ruisselle comme une nappe d’eau. et la vallée, frappée d’Alzheimer, ne se souvient même pas que la montagne a retenti de vie. Pouvais-je me douter que ces talus résonnaient autrefois de cris muletiers ? Le passé n’a pas d’écho. En une moitié de siècle, l’accélération et l’hypertrophie des systèmes humains -villes, nations, sociétés, entreprises – avaient institué un nouveau solfège dans les vallées. La question de la taille et la question de la vitesse étaient les nouvelles fondations du monde du XXI° siècle. L’agitation et l’obésité ne sont jamais d’heureuses nouvelles. Il y avait cependant une consolation: si l’on considérait que le flux était la seule loi de la vie, que l’Histoire n’avait pas de sens, sans espoir d’en freiner ni d’en modifier la course, on pouvait trouver une issue en recourant aux chemins. Il suffisait de reprendre la marche …
Sylvain Tesson
Sur les chemins noirs
Gallimard. 2016
Vallouise, Entre les Aygues. 1618m
7 octobre 2016