S’abandonner à vivre

Je me souviens d’un numéro de Pour la science de Novembre 1997: un entomologiste allemand y expliquait que le hanneton ne peut mathématiquement pas voler. Si l’on modélise les paramètres anatomiques et physiologiques de l’insecte – son poids, la surface de ses ailes, la fréquence des battements -, il devrait s’écraser. Le miracle est que la bête se montre capable de voler contre les lois algébriques. La course du hanneton dans le ciel e juin est un camouflet à la science. En regardant l’eau du fleuve caresser les flancs de la coque, je me disais que la Russie est aux nations ce que le hanneton est à l’évolution: une aberration. Ce pays, au bord de l’écroulement, poursuit de siècle en siècle sa marche inaltérable. Il titube mais ne s’effondre pas.
Donc, les sapins. Ils défilaient bien sages et vieux de près d’un siècle. J’avais peut-être eu tort d’embarquer. Le défilement d’une rive fluviale aux environs du cercle arctique est une expérience métaphysique de la monotonie. Je buvais une bière Baltika n°3 dans une chope de verre à grosses incrustations. Parfois, je levais mon verre et essayais d’aligner le niveau du liquide avec l’horizon. Une façon de trinquer avec le monde lorsqu’on boit seul.

Sylvain Tesson
S’abandonner à vivre
Gallimard. 2014

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