Au détour de la palissade une affiche qui devient flammes; dans la déchirure la lettre phénix renaît de ses cendres et de la colle sur les murs en ruine.
Tout ces papiers sont plumes pour Dédale qui en fabrique patiemment des ailes à l’intention de ses fils cadets qui prendront leur essor un jour, c’est promis, qui sauront éviter les pièges du Soleil. Il faut reprendre à zéro les anciennes légendes. Alors ils échapperont aux enchevêtrements des tuyaux où circulent l’ordure et les gaz, aux embrouillaminis de fils qui transmettent fausses lumières et conversations frauduleuses, aux souterrains grouillant de rats et de travailleurs harassés qui rentrent chez eux retrouver la femme fripée, les enfants geignards, le vin frelaté, les programmes débiles sur les écrans.
L’œil en scalpel détache les strates de l’espace feuilleté sur les parois délaissées. On s’insinue par ces fissures, tel un mimi australien à travers ses falaises, jusqu’au temps du rêve avec ses orgues et bondissements. Cette usine désaffectée c’est la grotte de Fingal, la mosquée d’Omar ou d’Ibn Touloun. Ce terrain vague dévoré de bulldozers nous propose dans ses morceaux les témoins archéologiques des vingt dernières années plus ignorées encore que les millénaires prestigieux. Modeste Christophe Colomb débarquant d’une grinçante Santa Maria de tôle et plastique, j’écarte les Sargasses pour en extraire idoles et inscriptions.
Michel Butor
Du square parisien
L’horticulteur itinérant. 2004
Editions Melville – Léo Scheerl