Maroc,
Vie confisquée
Humble citadelle encombrée
de pierres lourdes et usées
dans un ciel de miroirs séparés
ce pays
descend le fleuve
avec ses hommes nus
et ses gamins de poussière
ce pays
porte une blessure sur chaque épaule
couverte de parure
et de prières face à l’orage
chargé de sable et de braise
les astres désunis
de miroirs dressés
gardent le souvenir
peuple
de solitude et de faste
le front large de la montagne
retient la violence
dans les talus de l’attente
la terre a tremblé
libérant le jour
d’un ventre nubile
rude la traversée du ciel
sombré dans l’éclat éphémère
une parole inversée
dans une main étonnée
à peine visible dans le mur
un visage ému
pour la lumière du soir
et les hautes pluies
saison dispersée
sur une terre mal aimée
quittée en hordes
pour la ville
avec une poignée de grains
mêlés au sable
serrés dans une étoffe chaude
pour les besoins de l’oubli
des hommes et des femmes
rendus à la nuit
et aux ombres agitées
la ville est ouverte
ni porte ni muraille
une grève battue par les pierres
les gamins iront à la gare routière
pour l’aventure étroite
et le pain ramassé sur un coin de table
les filles
retourneront à l’argile
d’une vie depuis longtemps confisquée
Tahar Ben Jelloun
A l’insu du souvenir / III. Nouvelles du pays
Ed de la Découverte. 1987

Rabat,Maroc