La voiture assurait peu à peu sa route dans la grisaille des banlieues.
Il faisait froid. Les maisons courtes et noires groupées et dispersées par la vitesse figuraient monotonement l’abandon, le désert et le froid. Parfois luisait une flèche, quelques mots sur de la pierre, un peu de signification arrachée à un monde qui semblait vide. De la brume faisait la terre obscure sous les phares.
La campagne apparut par fragments entre des masures déteintes. La pluie couvrait les champs. Mais un rayon de soleil glissa sur leur surface et ce fut une première éclaircie. D’autres lui succédèrent. Montant au loin comme des vagues, elles venaient à la rencontre de Jean et d’Anne, les franchissaient, les poussaient dans le temps dérobé devant eux comme une pente.
Décolorée, muette, Anne avait au volant la beauté rongée des statues.On eût dit la proue d’un naufrage, dont la figure pénétrée de sel semble appelée par l’abîme.
Yves Bonnefoy
Rue Traversière / L’Ordalie
Mercure de France 1987