Le Lamantin est un être de première main. Il n’adhère à aucun credo. Il ne vise aucun au-delà. Se moque du lendemain. Peines ou récompenses, paradis ou enfer -tout cela l’ennuie, insondablement. Il ne cherche pas à être respectable – il croît en profondeur. Il ouvre au silence. Le Lamantin s’exprime – dans l’insoumission de son discret vertige. Le Lamantin célèbre la lenteur, la haute justesse des ralentis internes. Il ne croit pas au salut par procuration. Il parie sur la sagesse de son propre frémissement. Il sait s’abandonner, se laisse inspirer, renonce à tout point de vue. La conscience totale est sa seule méthode. Le Lamantin est toujours hors sujet. Le Lamantin n’a aucun principe – sinon l’absence de tout fondement. Il porte en lui le grand mystère. Flotte dans l’inconcevable. Il ne cherche pas la compétition, mais l’accomplissement. Il sort du temps à volonté. C’est un saint doué d’humour. Il n’a nul souci d’avoir raison, N’a que faire de la mauvaise conscience chronique. Il préfère l’ouverture à l’amertume. Le Lamantin ne communique pas – il communie en permanence. Le Lamantin se tient à l’embouchure, comme un prisme de la création. Il a le temps, il fait la planche entre deux eaux. Il devine qu’il est une image possible de Dieu – mais ne s’en soucie guère. Un bijou facétieux qui n’épuise pas le poids du savoir. Il sait être grave, mais avec élégance. Il est pur accueil – jusqu’à se faire balafrer par les hélices des hors-bord. Le Lamantin est un Grand Commençant
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Zéno Bianu Satori Express / Petit manifeste du lamantin Le Castor Astral. 2006