Bousculées comme le sont les eaux qui gagnent
la berge, ses pensées
s’entrelacent, se repoussent et se recoupent,
s’élèvent en évitant les rochers et les contournent
mais toujours peinent plus avant — ou creusent
leurs remous et tourbillonnent, guettées par une
feuille ou l’écume caillée, paraissant
oublier .
Repartent plus tard à l’assaut et
suivies de hordes successives
qui les pressent — elles fondent à présent
coulées comme la glace dans leur célérité,
se calment ou semblent se calmer tandis qu’enfin
elles se jettent et meurent et
tombent, tombent dans l’air! comme si
elles flottaient, délivrées de la pesanteur,
se désunissent, en charpie ; hébétées, ivres
du désastre de la chute
elles flottent en porte-à-faux
pour heurter les rochers ; jusqu’à ce grondement,
comme si l’éclair avait frappé
Toute légèreté perdue, la pesanteur reconquise
dans l’échec, leur fureur d’
évasion les fait rejaillir
sur celles qui leur succèdent —
en reprenant le fil du courant, elles
continuent leur course, l’air est empli
de tumulte et d’embruns,
contemporaines elles connotent l’air égal
en comblant son vide
William Carlos Williams
Paterson / Livre I -Les contours des géants
Flammarion. 1981
Ecrit entre 1946 et 1958