étrange allégresse

Parfois la nuit, cet automne-là, il arrivait que l’odeur de la mer froide s’infiltrant à travers les fenêtres fermées, le crépitement de la pluie sur le toit de l’appentis derrière la maison, le murmure du vent dans l’obscurité, éveillent soudain en lui une sorte de joie tranquille et forte qu’il n’aurait jamais cru être encore capable d’éprouver. Il avait presque honte de cette étrange allégresse ; il lui semblait laid de ressentir la vie comme une victoire quand la mort d’Ivria révélait son échec. Il savait que les actes des hommes, qu’ils soient motivés par la passion et l’ambition ou qu’ils ne visent qu’à tromper, mendier, accumuler, qu’ils soient faits de dérobades, de faux-fuyants de méchanceté, de duplicité ou de générosité n’étaient en réalité que compétition et imposture, destinés à impressionner, à attirer l’attention, à inscrire dans la mémoire de la famille, de la société, de la nation, ou de l’humanité, des mesquineries ou des pseudo-bontés calculées ou improvisées. Pourtant, presque tous nous conduisaient précisément là où vous n’aviez aucunement l’intention d’aboutir. Cette déviation de trajectoire générale et permanente qui détourne les différentes entreprises humaines, Joël tenta mentalement de la nommer « la farce universelle » ou « l’humour noir de l’univers ». Puis il réfléchit : la définition lui parut sentencieuse. Les mots « univers », « vie », « monde » étaient pompeux et ridicules.

 

Amos Oz
Connaître une femme
Tel Aviv. 1989
Calmann-Levy.1991

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