l’Amérique

J’éprouvais une fatigue fiévreuse devant la beauté exagérée.
“C’est là ma place, Don Gaetano.
-Dis-lui au-revoir, ce soir tu t’embarques pour l’Amérique. Tu as un billet sous un autre nom sur un bateau qui va en Argentine. Je vais te donner les papiers.
-Vous les saviez déjà.” De quelle manière était faite la vie, si on pouvait la prévoir jusqu’au moindre détail ? Et la prévoir sans pouvoir intervenir, sans rien empêcher. Telle était la tristesse endurcie de Don Gaetano. I ne pouvait y remédier que par un salut secondaire, un billet pour l’Amérique, le même voyage que le sien. L’océan était une voie de fuite, pour nous du Sud. Il donnait l’absolution, impossible sur terre. Les pensées faisaient un beau vacarme dans ma tête, Don Gaetano les écoutait.
“Pour nous, c‘est la mer qui se charge de régler les comptes”
J’eus envie de lui demander: “Vous venez vous aussi ?”
-Non, je reste, je te couvre. Je te ferai savoir quand tu pourras revenir. Tu iras vivre chez un ami, il viendra te chercher à l’arrivée.”
Nous nous sommes assis sur un banc face à la mer.
“Tu es faible, tu as perdu du sang.
-J’en avais en plus, j’en avais pour elle aussi. C’était pour faire sortir ses larmes. Elles sont précieuses, Don Gaetano les larmes d’Anna, elles sont la voie d’issue de sa folie.

(…)”

Erri De Luca
Le jour avant le bonheur
Gallimard. 2010

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