L’amour, ici j’ose risquer le mot, avec appréhension certes, est un art de la dépendance. Il suppose donc que l’on s’y risque. Admettre sa défaite, son attente insensée, son désespoir devant le brusque refus de l’autre, se laisser dévaster par une douleur qui nous semble-t-il alors ne prendra jamais fin. Cet acquiescement à la dépendance n’et pas une résignation, sinon s’installe dans l’âme un venin fatal qui fait le lit de toute dépression à venir, comme une rivière trop longtemps retenue se perd en marécage. L’amour est cet événement qui nous rend capable de nous transporter dans l’autre, de nous déserter pour choisi l’adversaire contre soi. L’amour est en dépit de la violence, de la bêtise, du style, de l’envie, du rêve, il est aussi constamment à contre-temps. Il est aussi dans le ravissement et le dégoût, une désappropriation de soi, un désaveu. On ignore ce qui chimériquement s’imprime en nous dès les premières heures de la vie et qui ressurgira dans tel ou tel attachement à une certaine couleur de peau, une certaine odeur, à ce geste-là, cette désinvolture, cet accent, ce mouvement de hanche à peine marqué, cet espacement entre les mots.
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Anne Dufourmantelle
L’éloge du risque
Payot-Rivages 2011