… en train de nous dire que la V° République et les autres régimes démocratiques européens vont s’effondrer comme la république de Weimar dans l’Allemagne des années 1930 ?
Non, ce ne sera pas un effondrement. Il me paraît improbable que nous assistions à des prises de pouvoir soudaines, et à la mise en place de dictatures. Je crois plutôt que nous risquons une dissolution ou une liquéfaction progressive de l’Etat de droit qui, d’ailleurs, a déjà commencé. L’ambiance populiste agit comme un acide qui dissout ce qui est constitutif de nos démocraties, autrement dit les constitutions qui protègent théoriquement les libertés fondamentales, et ce quelles que soient les majorités, les référendums, les pressions de l’opinion.
Cette ambiance dissolvante, n’est-ce pas ce que vous appelez « le populisme liquide » ?
En effet. Ce que je nomme le populisme liquide se caractérise par cinq différences essentielles par rapport aux années 1930. Tout d’abord la définition du « vrai peuple » n’est plus fondée sur la race, avec une référence biologique, mais sur la notion plus volatile de culture. Cette nouvelle focalisation sur la culture -ce sera la deuxième différence – est adaptée à la société de consommation actuelle dans laquelle circulent des opinions, des désirs, des modes, à grande vitesse, sans stabilité idéologique. De sorte que non seulement la définition du vrai peuple est variable, mais les héros, les traîtres et les ennemis se substituent les uns aux autres à grande vitesse. Par exemple, malgré la désignation de l’ennemi fondamental musulman, il peut y avoir aussi parfois glissement antisémite, homophobe, ou autre. Ce qui reste toujours, c’est le sentiment d’être culturellement cerné, sentiment qui peut se fixer et se détacher très rapidement de n’importe quel objet. C’est pourquoi le traître par excellence reste toujours le multiculturaliste. Aujourd’hui, le mot de « multiculturalisme » est même devenu péjoratif ! Troisièmement, la convergence entre le progressisme et le conservatisme ne touche plus seulement des partis spécifiquement populistes, mais l’ensemble des milieux politiques, et à l’échelle européenne. Ce qui nous conduit à la quatrième différence : il n’y a plus comme dans les années 1930 une crise de certaines nations européennes par rapport à d’autres, l’Allemagne par rapport à la France par exemple, mais une crise de l’ensemble de l’Europe. Enfin, la dernière différence, et non la moindre, est le fait que les sociétés européennes sont soumises à des contraintes internationales économiques, politiques, juridiques, militaires, qui ne leur permettaient plus de s’engager seules contre le monde, comme ce fut le cas des forces de l’Axe dans les années 1930.
Ce populisme qui vient
Raphaël Liogier
Conversation avec Régis Meyran
Ed Textuel. 2013