1
Les nuées – tels des lacs,
La lune – une oie rousse.
Elle danse au regard,
Déhanchée, la Rous’,
La verte forêt tressaille
Et bouillonne la source.
Bonjour moujik, bonjour
Nouvel Otchar !
Les eaux sont d’un bleu ciel –
Ta paix et ta lumière,
En ce monde il n’est pas
De liberté funeste.
Chante, exige, appelle
Les rivages cachés ; non,
Ne tombera pas du ciel
Un arc étoilé !
Le soir a suspendu
Sa pourpre
aux puissantes épaules
d’un mont de granit.
2
Et sous l’arbre des brumes,
A cheval sous la lune,
Tu hurles,
Comme la tempête de février.
Les vierges célestes
houspillent le Kremlin ;
Et un vieux soldat
T’a enseigné la foi.
Il t’a donné la lance,
Le sabre de l’orage,
La force d’Anika
A imprimé ton pas.
Et l’aube comme une louve,
Sa bouche au large sourire ;
Tu ne chasseras le mal
Qu’en te signant des deux doigts.
Tu tendras la main,
Tu pencheras la tête
Tu poseras pour elle
Sur sa langue jaune le pain.
La bête va flairer
Sous l’arc-en-ciel des mots :
Les portes de diamant
Et la voile stellaire.
3
Ô thaumaturge !
Lèvres rouges, large ossature,
tes mains rudes ont reçu
Un tendre nourrisson, –
Berce mon âme
Sur les doigts de tes pieds !
Je suis ton fils,
J’ai grandi comme un saule
En bord de route,
J’ai appris à voir en toi
Comme dans un lac.
Tu es indicible et sage.
Dans tes cheveux blancs
Je reconnais la neige
Des près
Et des champs.
Dans tes yeux bleu je célèbre
Le bel
Et rouge été.
4
Ah ! C’est le printemps aujourd’hui, –
Tu bouillonnes comme un torrent !
La barque flatte l’eau
Et le silence chante.
Cliquetis des sorciers
Et le déchaînement,
Caspienne, Don, Volga
Ne sont que tourbillons.
L’Oural aux lèvres bleuâtres
Montre les dents,
Son rictus bleu
Les Solovki le bénissent.
Tu nous convies tous au festin,
Un appel chaud comme une flamme,
Et tu portes sur ton épaule
Un monde qu’on ne peut étreindre.
Offrande sainte et pacifique,
Le bleu et le chant dans tes mots,
Brûle sur tes épaules
Cette sphère infinie !…
5
…
19-20 juin 1917
Serguei Essénine
« Otchar »
Poemes 1910-1925
Ed. La Barque.2015