Les vagues sur la plage de Miraflores se brisaient à deux reprises au large, d’abord à deux cent mètres du sable, et nous, les cœurs vaillants, allions là-bas les affronter à poitrine nue en nous laissant porter pendant cent mètres, jusqu’au point où les vagues ne mouraient que pour reconstituer d’arrogants rouleaux et se briser derechef, en un second déferlement qui nous faisait glisser jusqu’aux petits galets de la plage.
Durant cet été prodigieux, le mambo fit un ravage aux soirées de Miraflores et l’on cessa de danser valses, corridos, blues, boléros et guarachas. Le mambo, un séisme qui fit bondir, sauter, se tortiller et déhancher tous les couples enfantins, adolescents et mûrs du quartier. Il en allait sûrement de même hors les murs de MIraflores, au-delà du monde et de la vie, dans les quartiers de Lince, Brena, Chorillos, ou ceux, encore plus exotiques, de La Victoria, du Rimac et de Porvenir, où nous, les Miraflorins, n’avions mis ni ne pensions jamais mettre les pieds.
Et tout comme on était passé des valses créoles et des guarachas, des sambas et des polkas au mambo, on était aussi passé des patins et de la trottinette au vélo, et certains même, tels Tato Monje et Tony Espejo, à la moto, voire pour un ou deux, à la voiture, comme Luchin, le grand dadais de la bande, qui volait parfois la Chevrolet décapotable de son père et nous emmenait faire un tour sur le front de mer, depuis le Terrazas jusqu’à la Quebrada de Amendariz, à cent à l’heure.
Mais le grand événement de cet été-là fut l’arrivée à Miraflores, en provenance du Chili, leur lointain pays, de deux sœurs dont le physique provocant et l’inimitable façon de parler, à toute allure, escamotant les dernières syllabes des mots, finissant leurs phrases sur une espèce d’exclamation qui ressemblait à un pff, nous tourneboula tous, nous qui venions d’échanger nos culottes courtes contre des pantalons. Et moi, plus que tous les autres.
Mario Vargas Llosa
Tours et détours de la vilaine fille
Gallimard. 2006