Pour accompagner la lettre d’invitation, la reproduction d’une gravure sur bois. Une scène de rue, tramway, chevaux, chapeaux, passants, parapluies, composée d’épais traits noirs rapides et décidés conférant aux silhouettes et aux immeubles, aux animaux et à la mécanique, le tranchant d’un brutal saisissement, un instant figé, photographique. Impression à laquelle la technique ancestrale de la gravure sur bois superposait le sentiment d’une dimension spontanément historique renvoyant cette représentation des mœurs contemporaines à un document d’étude abîmant le présent. Révélant son caractère évanescent, évanoui même. On y voyait moins ce qui était donné à voir que ce qui dans ce qui était montré relevait déjà du passé. Cette gravure, le récemment promu y a jeté un œil distrait, volontiers distrait, distrait et méprisant. Le récemment promu, qui s’entraîne depuis longtemps à ne rien éprouver qui puisse l’ébranler, a ceint ses méninges de douves. Toute intrusion dans le champ de son amour-propre se solde par une averse d’huile bouillante. Il n’y a que pour le fondateur qu’il abaisse le pont-levis, du moins tâche-t-il de lui en donner l’illusion.
Bertrand Belin
Grands carnivores
Paris, P.O.L,