-Je refuse d’être un programme, peste Meredith…
Adrian, si cette hypothèse est la bonne, alors nous vivons une allégorie de la caverne, mais à la puissance n. Et c’est insupportable : passe encore que nous n’accédions qu’à la surface du réel, sans espoir d’accéder à la vraie connaissance. Mais que même cette surface soit une illusion, c’est à se flinguer.
-Je ne sais pas si « se flinguer » convient à un programme, tempère Adrian, en lui tendant le troisième café de la matinée.
Mais Meredith est furieuse, totalement hors d’elle, même si c’est sans doute un effet indésirable du modafinil dont elle avale un comprimé toutes les six heures pour ne pas dormir. Adrian affronte un flot de questions auxquelles elle n’exige aucune réponse. Tout y passe.
Est-ce que le fait que je n’aime pas le café est inscrit dans mon programme ? Et ma gueule de bois d’hier, quand je me suis changée en éponge à tequila, elle est simulée elle aussi ? Si un programme désire, aime et souffre, quels sont les algorithmes de l’amour, de la souffrance et du désir ? Est-ce que je suis programmée pour me mettre en colère en découvrant que je suis un programme ? Est-ce que j’ai un libre arbitre, malgré tout ? Est-ce que tout est prévu, programmé, inévitable ? Quelle dose de chaos est incluse dans cette simulation ? Il y a du chaos, au moins ? N’y a-t-il aucun moyen de prouver que non, ouf, en fait, nous ne sommes pas dans une simulation ?
Hervé Le Tellier
L’Anomalie
Gallimard. 2020
Prix Goncourt 2020