Avec la langue

Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre. C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. L’émoi vient d’un double contact : d’une part, toute une activité de discours vient relever discrètement, indirectement, un signifié unique, qui est « je te désire », et le libère, l’alimente, le ramifie, le fait exploser (le langage jouit de se toucher lui-même) ; d’autre part, j’enroule l’autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, j’entretiens ce frôlage, je me dépense à faire durer le commentaire auquel je soumets la relation. (Parler amoureusement, c’est dépenser sans terme, sans crise ; c’est pratiquer un rapport sans orgasme. Il existe peut-être une forme littéraire de ce coïtus reservatus : c’est le marivaudage.)

Roland Barthes
Fragments d’un discours amoureux
Seuil, 1977

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