Entretien La Croix, Samedi 08 mai 2021. Extrait
Vous parlez dans vos livres de l’amitié comme expérience « de la verticalité ». Qu’est-ce que vous voulez dire ?
L’amitié peut devenir une expérience intense, ultime et profonde. Je connais ça avec mon ami Gabriele. La verticalité des relations, c’est ce qui nous ramène à la profondeur de notre être et donc à des relations humaines authentiques. Moi, c’est en montagne que je vis ces expériences-là, car là-haut la connexion ne signifie rien, mais la rencontre, elle, signifie tout. Quand tu es seul, les rencontres avec un autre donnent son sens à la vie. Quand on rencontre un animal sauvage, c’est beaucoup. Je sais que je suis dans une relation verticale quand je sens que l’être en face de moi me reconnaît pour ce que je suis. Il y a peut-être trois ou quatre personnes sur terre qui me connaissent. À l’inverse, il me semble que le lien horizontal est le rapport actuel de notre monde aux choses. Avec cette obsession de la communication, de n’être jamais seul, d’être toujours connecté. Mais cette vaste horizontalité nous laisse trop souvent à la surface des relations.
Vous vous étiez dirigé vers des études de mathématiques avant de choisir le cinéma et l’écriture. Vous qui êtes avant tout un pragmatique, voyez-vous la montagne comme l’univers de l’ordre ou du désordre ?
C’est une belle question, parce que l’ordre de l’homme se trouve dans la symétrie, celui de la ville, de l’architecture, de la logique. Alors que le ruisseau, la forêt, la montagne sont des éléments qui ne connaissent pas ce genre d’ordre. Dans la nature, on ne trouve pas de proportion mathématique, il y a toujours une asymétrie même lorsque l’effet miroir s’invite. Mais à la fois la nature donne une impression d’ordre plus élevé que toute autre chose au monde, une harmonie qui n’est pas d’ordre géométrique mais absolue, un équilibre de la terre.
Paolo Cognetti, écrivain
Les huit montagnes. Stock. 2017