Mais de quoi ont-ils eu si peur ?

C’est par la stupeur que provoque la découverte de Marseille que Joseph Roth débute son article : »Tartarin était plus démuni à Marseille que plus tard il ne fut en Afrique. Entre Tarascon et le pays de la sauvage aventure, la différence n’est pas si énorme. Mais Marseille est un monde : l’aventure y est quotidienne, et le quotidien y est aventureux. Ici, l’on peut vraiment être pris au dépourvu. Marseille est la grande porte qui ouvre sur le monde. Marseille est le carrefour des peuples. Marseille est l’Orient et l’Occident. »
Voilà donc l’équation: Marseille frappe le visiteur de stupeur, mais le combat qui l’arrache au mutisme se résout dans l’emphase, dans une fuite vers le lointain.  » Marseille est un monde », certes, mais ce monde, le monde portuaire, est à la fois partout et nulle part: « Marseille c’est New York et Singapour, Hambourg et Calcutta. Alexandrie et Port-Arthur, San Francisco et Odessa. » Cette dispersion qui brouille les repères du voyageur est familière aux marins dont Benjamin décrit l’expérience dans « Bière à la pression ». Marseille vit à une autre échelle que celle de la ville, l’échelle du commerce international des marchandises, elle est « l’immense magasin aux articles de consommation courante du continent européen », et pour décrire ce brassage de marchandises, on ne peut recourir qu’à l’accumulation, l’inventaire, le contraste et la grandiloquence jusqu’à ce que se dessine l’immense machine industrielle qui donne son rythme à la ville: « On voit bouger l’aiguille géante de l’horloge historique. Le « développement » et le « devenir » ne sont pas des notions abstraites. On voit le pied de l’histoire et on compte les pas. » Marseille, port industriel, avance dans le sens de l’histoire…

Christine Breton, Sylvain Maestraggi
De quoi ont-ils eu si peur ?
Walter Benjamin, Ernst Bloch et Siegfried Kracauer à Marseille le 8 septembre 1926
Ed commune

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