Le changement de nos bois à l’automne n’a pas encore laissé de marque profonde sur notre littérature. Octobre n’a guère teinté notre poésie.
Nombreux sont ceux qui ont passé leur vie dans les villes, sans jamais avoir eu l’occasion de venir à la campagne à cette saison et n’ont jamais vu cela, cette fleur, ou plutôt ce fruit mûr de l’année.
La plupart des gens font semblant de confondre les feuilles qui changent de couleur avec les feuilles fanées, comme s’il fallait confondre les pommes mûres avec les pourries. A mon avis, une feuille qui change de couleur pour revêtir une teinte plus vive est la preuve qu’elle a atteint une maturité tardive et parfaite, en écho à la maturité des fruits. Ce sont généralement les feuilles les plus basses et les plus vieilles qui changent en premier. Mais, tout comme l’insecte aux ailes parfaites et aux couleurs fréquemment vives à une existence éphémère, ainsi les feuilles ne mûrissent que pour tomber. en général, tout fruit bien mûr, juste sur le point de tomber, au moment où il commence à avoir une existence plus indépendante et plus individuelle, n’exigeant plus guère de nourriture externe, et encore moins de la terre par son pédoncule que du soleil et de l’air, ce fruit prend alors une teinte plus vive. Ainsi font les feuilles. Le physiologiste dit que cela est “dû à une absorption accrue d’oxygène”. C’est l’explication scientifique de la chose, la simple réaffirmation d’un fait. Mais c’est la joue rose qui m’intéresse, plus que la connaissance du régime suivi par la jouvencelle pour avoir bonne mine. Toute étendue boisée ou herbue, l’enveloppe de la terre, doit se colorer de tons vifs, en signe de maturité, comme si le globe terrestre était un fruit sur sa tige avec une face continuellement tournée vers le soleil.
Octobre est le mois des feuilles peintes. C’est le temps où leurs chaudes couleurs éclatent de par le monde. Comme les fruits et les feuilles, ainsi que le jour, s’embrasent juste avant de tomber, l’année qui s’achève se couvre elle aussi de riches couleurs. Octobre est son ciel au couchant, suivi par novembre qui est son crépuscule.
H.D. Thoreau
Journal. 1850
in « Teintes d’automne & succession des arbres en forêt »
Ed. Le mot et le reste