J-2
Les cèdres nains faisaient obstacle. Leurs branches barraient le chemin. Il fallait ramper dans les tunnels ouverts par le passage des bêtes. Pour éviter l’obstacle, il gagnait la rive. Les chevilles souffraient sur les galets ronds, chaque pas était un triomphe, il revenait sur le chemin obstrué de végétation. Il passa la journée à osciller entre la forêt et la grève. La vie pour certains s’écoule ainsi, dans la conviction que le bonheur se trouve ailleurs. Lui au moins avait évité cet écueil. L’érémitisme l’avait vacciné contre l’insatisfaction.
J-1
Nuit coupante. Le thermomètre était tombé sous -25°C. Au matin, il fallut deux heures de marche pour que le sang huile à nouveau les rouages. A trois heures de l’après-midi, la forêt s’ouvrit sur les fumées du bourg. Quatre jours et demi: il avait fait vite. La sente devenait un chemin puis une piste, puis une route de goudron. Les routes connaissent le même destin que les rivières : elles enflent et se jettent dans plus gros qu’elles. Il s’arrêta et s’assit contre un cèdre. Quarante années de réclusion et cent kilomètres de marche l’avaient mené à la porte de la vile. Au seuil d’une nouvelle vie.
Sylvain Tesson
Une vie à coucher dehors
Gallimard. 2009