Réjouis-toi des sens innombrables,
qu’alimentent en toi les événements,
chaque jour tu connais de nouveaux commencements,
sans cesse de nouvelles mélodies
cherchent à mêler dans tes cordes
le commun à l’acquis,
qui ne te semblait plus t’appartenir en propre.
Le monde te sera donné plus intérieurement
quand il ne pourra plus se détacher de toi,
la vie amoureuse se pelotonne plus doucement
contre tes gestes grandissants.
Ta joie solitaire résonne plus pure
dans les fêtes que tu te célèbres,
et ta peine se fait toujours plus universelle,
déliée de l’insignifiante motivation.
Et tu apprends à vivre dans les plaines
car tu y vois le ciel plus grand
et parce que le courant apaisé y coule
vers les autres, vers les multitudes.
Sans montagnes la terre devient vaste,
tu lis tous les chemins sur le sol.
(…)
.
Rainer Maria Rilke
Fragments. 1901
Poèmes épars et fragments, 1897-1926