Comment l’existence devient-elle quelque chose que l’on supporte, à quoi l’on sur-vit ? Par l’espérance. Ainsi se forment les marécages de la mélancolie ordinaire. Les marchés passés avec la soi-disante économie du réel, et pour prix de cette résignation, une autre vie rêvée. Et pourtant, l’espérance n’est-elle pas la première tâche ? Celle des mystiques, des fous et de ceux qui sont à bout de souffle, dans la misère physique et psychique. Mais eux n’ont même plus la force d’espérer. S’affranchir du possible, imaginairement inépuisable nous conduit seulement à rester pris dans l’intrication de situations impossibles. La fatigue alors se dépose sur toute chose, et sans même que cela pèse. Vivre dans l’espoir laisse le présent cardé d’angoisse ou de ressentiments et reporte sans cesse à demain l’attente de la métamorphose, aux fins d’une tyrannie inconsciente commencée bien avant soi, tramèe à même l’histoire des générations qui nous ont précédées et nous portons aussi bien la révolte que la puissance sacrificielle. C’est “la vraie vie” qui se trouve ici reléguée au rayon des accessoires du futur. Cette vie sans cesse recommencée demain, dont la fiabilité même est mise en jeu, devient opaque, bourbeuse, réfractaire à faire destinée. Et l’espace constamment déplacé, différentiel, au sens derridien, qu’elle ouvre entre le fantasme et nous, entre la vérité de notre désir et notre impossibilité à désirer vraiment, ne cesse de projeter ses ombres au-devant.
Anne Dufourmantelle
L’éloge du risque
Ed. Payot et Rivages. 2011