La mante religieuse

Une fois, dans un pré, Sid Ali le poète avait attrapé une mante religieuse. C’était par une belle journée de printemps. Il y avait des fleurs partout.Sid Ali  m’a montré l’insecte et m’a demandé si j’étais au courant qu’à l’origine la mante était une feuille. J’ai dit que je l’ignorais. Alors Sid Ali m’a raconté l’histoire d’une feuille rebelle et arrogante qui digérait mal le fait de se faire larguer par sa branche simplement parce que l’automne arrivait. Elle s’estimait trop importante pour moisir parmi les feuilles mortes que le vent humiliait en les traînant dans la boue. Elle jeta sa gourme et se promit de ne compter que sur elle-même, comme une grande. Elle voulait survivre aux saisons. Et la nature, séduite par son zèle et sa combativité, la transforma en insecte rien que pour voir où elle voulait en venir. Ainsi naquit la mante religieuse, farouche et taciturne, plus ambitieuse que jamais. Le miracle lui monta à la tête. Elle se mit à narguer sa branche, à la fouler aux pieds. Elle devint cruelle, prédatrice et souveraine, et son impunité ne tarda pas à l’aveugler au point que, pour prouver on ne sait quoi, elle s’est mise à dévorer tout sur son passage, y compris ceux qui l’aiment.

 

Yasmina Khadra
A quoi rêvent les loups
Ed Julliard. 1999

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