Le développement est le maître mot, devenu onusien, sur lequel se sont rencontrées touts les vulgates idéologiques de la seconde moitié de notre siècle. Au fondement de l’idée maîtresse de développement, il y a le grand paradigme occidental du progrès. Le développement doit assurer le progrès, lequel doit assurer le développement.
Le développement a deux aspects. D’une part, c’est un mythe global où les sociétés industrielles atteignent au bien-être, réduisent leurs inégalités extrêmes et dispensent aux individus le maximum de bonheur que peut dispenser une société. D’autre part, c’est une conception réductrice, où la croissance économique est le moteur nécessaire et suffisant de tous les développements sociaux, psychiques et moraux. Cette conception techno-économique ignore les problèmes humains e l’identité, de la communauté, de la solidarité, de la culture. Ainsi, la notion de développement s’en trouve gravement sous-développée. La notion de sous-développement est un produit pauvre et abstrait de la notion pauvre et abstraite de développement.
Liée à la fois aveugle dans la marche en avant irrésistible du progrès, la foi aveugle dans le développement a permis d’une part d’éliminer les doutes, d’autre part d’occulter les barbaries mises en oeuvre dans le développement du développement.
Le mythe du développement a déterminé la croyance qu’il fallait tout sacrifier pour lui. Il a permis de justifier les dictatures impitoyables, qu’elles soient de modèle « socialiste » (parti unique) ou de modèle pro-occidental (dictature militaire). Les cruautés des révolutions du développement ont aggravé les tragédies du sous-développement.
Terre-Patrie
Edgar Morin
en collaboration avec Anne Brigitte Kern
Seuil. 1993