Nous sommes séparés au moment même où nous nous éprouvons comme faisant un seul corps : vivants, et donc exerçant l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort, cette fois, est susceptible de prendre pour nous tous la même forme, in visible, imminente. Et cette conscience partagée, aiguë, chevillée à chacun de nos gestes, paradoxalement nous isole.
Pendant deux semaines, j’ai vu le monde depuis ma fenêtre. Mon quartier s’est rapidement vidé. Sont restés quelques joggeurs frénétiques, une vieille dame qui sort à pas menus arroser les fleurs à son balcon, une famille accroupie, chaque soir, à l’heure des applaudissements, derrière les échafaudages de son immeuble en ravalement – et la garde montée, en parade glorieuse au beau milieu de la rue, plus de voiture pour effaroucher les chevaux, dans ce silence insolite in entend de loin claquer leurs sabots.
Gwenaëlle Aubry
Se souvenir des confins
Tract de crise N°46 – 15 Avril 2020. Gallimard