Le marcheur est réduit à la seule puissance de son corps dans la jubilation de se sentir bien réel dans les pas accomplis et l’effort fourni. Il s’abandonne à l’espace environnant : il goûte le soleil ou la pluie, le vent, la neige ou la grêle. Il est confronté à un monde qu’il n’avait jamais ressenti à ce point. Il voit l’aube se lever ou le déclin de la lumière au fur et à mesure que la journée avance. Il habite enfin le monde qui l’entoure, immergé dans le grand dehors, livré à lui-même, à sa liberté, dépouillé de toutes les facilités mais aussi de tout ce qui encombre son existence. Les désirs sont réduits à l’essentiel : dormir, manger, se reposer, laver son linge, etc. Thoreau le dit avec force dans Walden : “Je gagnais les bois parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n’affronter que les actes essentiels de la vie (…), vivre abondamment, sucer toute la moelle de la vie, vivre assez résolument, assez en spartiate pour mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie” (1922, 90). En marchant, on change son corps, ses perceptions sensorielles, ses émotions, son temps, son espace.
David Le Breton
Marcher la vie. Un art tranquille du bonheur
Ed Métaillié.2020