Oujda

De la ville. Et des lieux, solidaires. Des fugees.
Comme s’appelaient certains jeunes, entre eux, fugees.
En hommage peut-être, à Lauryn, Wyclef, et Pras.
Fugees.
Hip-hop.
Résistance.
Résilience.
Espérance.
RAP (Réapprendre à parler), c’était bien de cela qu’il s’agissait, aussi.
Réapprendre à parler.
Pour se défaire de l’orage.
Dire, être. Au monde.
Présent à soi et à ses rêves. Déportés. Dire, être. Au monde. Se réunir. Se recentrer. Se renouer. Se retrouver.
Après la perte. De tout repère humain.
Chez soi.
Chez l’autre.
L’autre qui nous a marchandisés, esclavagisés, moqués, humiliés, tabassés, volés, emprisonnés, expulsés.
L’autre.
L’enfer c’est, parfois.
Réapprendre à parler.
Réapprendre à vivre.
Surmonter.
La honte.
La haine.
La peine.
La peur.
La douleur.
D’être né.
Du mauvais côté.
De la ligne.
La ligne de couleur.
Désapprendre, enfin, à survivre.

Survivre.

Comme on l’a fait jusqu’alors, en chien, en mendigot, en cafard, cafre, intouchable, nègre noir, kharlouch, khel, qu’on hait.
Fugees, qu’on est.

En espoir de cause.

Toujours.

J’ai pleuré à Oujda, c’est vraiment arrivé.
Pleuré devant le courage de ces jeunes gens, entassés rue d’Acila dans un sacré lieu, l’église Saint-Louis-d’Anjou, maison du père Antoine, Juste parmi les Justes, humain parmi les hommes. Ici-bas.
Je les ai regardés.
Faire.
Front.
Face.
Trace.
Ces jeunes gens. Défiant les vents, les déserts et les océans. Par tous les temps. Ces jeunes gens. Persistant à avancer. Avancer et croire. Croire à demain. Marcher, même quand rien ne marche. Marcher encore. Avancer jusqu’à la frontière. Dernière étape. Avant la vie nouvelle ou la mort ancienne. J’ai pleuré devant leur courage, leur rage d’exister et leur folie désespérée d’espérer. Encore. Traverser. Y arriver. Fuir la misère et la faim promises par des États qui n’en sont pas. Des États indignes de leur jeunesse exsangue, jeunesse qui n’en peut plus, de suffoquer et d’être obligée de faire comme elle peut, jamais comme elle veut. J’ai pleuré, c’est vraiment arrivé, à Oujda. Pleuré leurs adolescences sacrifiées sur l’autel de la corruption et de la mal-gouvernance, fléaux qui gangrènent nos pays comme des cancers. Du côlon, du foie, de la gorge, de la peau sur les os. J’ai pleuré en imaginant que tout aurait pu être différent, tellement différent, si nos rois – pardon nos présidents jusqu’à la mort – misaient sur l’énergie, le potentiel infini des enfants de leurs nations, si nos rois – pardon nos présidents à vie – avaient la moindre ambition pour leurs peuples. J’ai pleuré, d’empathie et de tristesse me submergeant, là, dans cette habitation de Dieu dont j’avais la nostalgie depuis bien longtemps. Depuis Nietzsche.
Et un 17 octobre noir, à Douala.
J’ai pleuré.
Pleuré ma mère.
Et toutes les mères du monde, qui ont laissé filles et fils.
S’en aller.
Partir.
Et ne pas.
Revenir.
D’outre-tombe.
Ne pas.
Revenir des enfers.
Comme Dante.
Si Béa…

Je pleurais quand j’ai senti, posé sur moi, délicat, un regard. Vert émeraude, ému.

Imane.

Marc Alexandre Oho Bambe
Les lumières d’Oudja
Calmann Levy. 2020

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s