De longues minutes passent. Je me calme. Je passe la main dans mes cheveux, j’ai la paume rouge de sang. Je me relève. Au passage, je jette un œil méfiant, animal, du côté du salon. L’amant est assis sur le canapé, fume une cigarette. Il fixe mes brouillons comme si à force de les hypnotiser il allait déchiffrer leur magma impénétrable de langue étrangère.
Bien sûr qu’il m’a entendu sortir de la chambre, qu’il sent ma présence. J’espère qu’il dise quelque chose qui me rassurerait.
Je m’approche, m’appuie contre le mur à l’entrée de la pièce, je n’ose pas vraiment avancer davantage. Il expire sa fumée pensivement, écrase sa cigarette dans le cendrier entre les cadavres de bouteilles, les glaçons en miettes fondantes et les papiers déchirés, il se lève. Au passage il dépose un baiser sur mon épaule, et me dit les yeux dans les yeux, catégorique,
Don’t you even try to kill yourself.
Et il retourne se coucher. J’embrasse du regard la scène sans dessus dessous. Des lambeaux d’histoires, d’amour et de violence éparpillés au sol, qu’éclaire faiblement déjà, troublant l’horizon, la lumière du jour qui se lève entre chien et loup, sur Istanbul impassible.
Valérie Manteau
Calme et tranquille
Ed Le Tripode.2016