Tous les matins, j’allais dessiner dans la montagne. Je partais seul, à l’heure tendre et forte où le jour sort ds brumes. J’aimais cette heure-là. Je me sentais, dans la lumière triomphante et pourtant encore embarrassée des timidités de l’aube, comme à la naissance du monde. Mes rencontres étaient rares. Je ne croisais guère, de temps en temps, que des petits joueurs de quena qui menaient des lamas chargés de bottes d’herbes et quelques hommes qui me regardaient passer, la tête penchée de côté, la figure froissée par le soleil. Je leuir souhaitais le bonjour avec toute la bonne humeur dont j’étais capable. J’avais tant envie de leur parler, d’être des leurs ! Mais ils me saluaient à peine.
C’était un de ces matins là que j’ai rencontré l’homme de cuivre. J’escaladais la montagne, mon attirail en bandoulière. Je longeais un océan de nuages cotonneux d’où émergeaient des pics, des sommets déchirés où s’accrochait la neige. Par des trous de nuées dont on distinguait au loin, dans les profondeurs illuminées, une plaine infinie. J’avais l’impression de monter au ciel. Je pensais à Marguicha, à des choses quotidiennes. Je chantonnais. Il faisait doux. A la sortie d’une courbe du sentier je me suis soudain arrêté, les yeux aussi grands que la bouche, incapable de faire un pas de plus.
Au bord du chemin un Indien se tenait assis sur un rocher. Il regardait l’espace, fixement. Je n’ai pas pu passer. Mes pieds n’ont pas voulu. Il y avait là quelque chose d’infranchissable.
Henri Gougaud
Les sept plumes de l’aigle
Le Seuil. 1995