…je suis de plus en plus convaincu que celui côtoie le ressac d’un lac finit par contracter un vague à l’âme. Sa vie alors comme une algue, se fait bercer passivement par le courant des jours.(…)
A ma gauche, des marais vert tendre où crient des échassiers. Et, devant moi, la flèche de sable légèrement incurvée par un effet d’optique, tirant le fil de la perspective jusqu’à disparaître. Je marche sur la grève dure. Toutes les trois heures je fais halte pour chauffer mon gruau sur un petit feu de bois flotté et pour croquer un poisson séché. Le sable de l’estran est rose parme. J’abats les foulées, dans un étrange état d’euphorie provoqué sans doute par la grandeur des lieux, la gifle du vent, la tragique lumière que me renvoie le lac et l’immensité anormale – comme surdimensionnée- du ciel. Je pleure, je ris, j’avance, je lance au lac des versets,poétiques. Je sens monter en moi l’impassibilité des vagabonds japonais de la tradition zen. Il s’agit pour eux de laisser les sensations leur traverser le corps sans s’y fixer jamais et d’accéder à l’imperméabilité, à l’image du martin-pêcheur qui réussit à plonger dans l’eau et en ressortir sec. Ainsi seulement peut naître en l’âme l’apaisement final. L’acceptation totale du monde. Non pas une acceptation passive mais impassible. Réconciliée. Peut-être le léger état de sous-alimentation dans laquelle je me trouve depuis quelques jours explique-t-il ces sensations aériennes qui me montent à l’âme, sans crier gare.
.